Le Mans-Abbaye de l'Epau

  Dans le parc de l'Épau : le cadran de La Groirie

Pj epau 1 le monument

 

La Sarthe, et particulièrement le château de la Groirie à Trangé, possédait un cadran solaire remarquable. Je dis "possédait", car la propriétaire voulait s’en séparer. Madame de la Vingtrie formulera le désir que ce cadran reste en Sarthe.
Après une rocambolesque pérégrination, son implantation fut réalisée dans le parc de L’Épau.
(cf. "Le voyage du cadran de La Groirie")

Acheté par le Conseil Général le 24 juillet 2000, afin qu’il reste dans notre département, le cadran n’a jamais été analysé sur le plan de la gnomonique, mais il fut toujours attribué historiquement et de manière péremptoire à un bénédictin en l’année 1635. Puisque cette date peut être contestée, j’ai recherché, parmi les textes qui frôlent le sujet des indices avouables sur ce monument.
Quand les choses s’obscurcissent, il faut reprendre les textes. Quand les textes partent de postulats, il devient difficile de connaître la vérité. Deux auteurs en particulier se sont intéressés à cet objet. Chacun donnant une opinion sans appel qui ne fait qu’obscurcir l’approche du sujet.
Là encore l’absence d’archives disparues avec les Allemands à la dernière guerre, donnent un sérieux handicap aux investigations.
La bibliothèque du château renfermait des collections précieuses ainsi que des documents historiques et littéraires qui ont été subtilisés. Je me bornerai à développer les écrits connus, à présenter les différentes faces du monument, à établir des comparaisons avec d’autres cadrans.

La partie purement mathématique sera analysée, après le nettoyage de l’objet, conjointement avec
M. Denis Savoie Président de la commission des cadrans solaires à la Société Astronomique de France, chef du département astronomie-astrophysique du Planétarium du Palais de la Découverte de Paris.

En parcourant les textes :

1- Suivons d’abord en 1866 l’Abbé Lochet
« Nous ne savons ce qui a donné lieu à l’opinion erronée qui attribue à un compagnon de l‘Abbé de Rancé (Abbé de Rancé dans le Maine, La semaine du fidèle, Maine 4°2159), la confection du curieux cadran solaire que l’on admire encore dans l’une des grandes allées de la Groirie. Ce cadran qui date seulement de la fin du dernier siècle est l’œuvre d’un religieux Bénédictin D. Bedos de Celles qui a séjourné quelques temps en l’Abbaye saint Vincent du Mans. Ce savant moine a publié sur l’art de la gnomonique le traité le plus complet et le plus étendu que nous connaissions. Il s’est occupé également de recueillir un grand nombre de devises propres à être placées sur les cadrans solaires. Celle qu’il a inscrite sur celui de la Groirie est vraiment parlante. !!
Simplex Sum, sine sole nihil Sine lumina nullus.»

Première constatation,
Dom Bedos dans l’édition de 1780, au chapitre XIII : Devises pour les cadrans solaires ne fait aucune allusion à ce cadran, au cours de sa présentation des différents types. Ce qui pourtant aurait pu être une curiosité, alors que les cadrans examinés dans cet ouvrage sont des cadrans classiques, bien connus à cette époque.
2- Mais dans un autre texte de 1887, le
Baron de la Bouillerie (
Le château de la Groirie et ses seigneurs, M.de la Bouillerie, Revue du Maine T22, 1887) écrit à partir de renseignements notés après sa visite à la Groirie : « Un jour que je parcourais ce domaine, guidé par la bonne grâce de son aimable maître, M. le Chevalier de Grandval, mes yeux tombèrent sur un petit manuscrit intitulé La promenade du sieur de Montauban à la Groirie en 1652 ».
« Ce cadran solaire existe toujours. C’est un véritable monument en forme de pyramide. Les quatre faces en sont entièrement découpées on y rencontre toutes les figures géométriques, le triangle, la calotte sphérique, le cône, le cylindre etc. enchevêtrés, mais partout distinctes. Les rayons du soleil les frappent tour à tour et marquent l’heure en divers sens. On en a faussement attribué l’érection à Dom Bedos de Celles. Ce savant a vécu de 1706 à 1779, c’est à dire bien longtemps après la visite du sieur de Montauban chez M. de la Rivière. Il est cependant possible que Dom Bedos ait remanié ou complété ce cadran, car lui-même, à différentes reprises, a fait quelques séjours à la Groirie ». (
Correspondance de Dom Colomb, Revue Historique du Maine, 1877)

Le cadran solaire de la Groirie et le texte
La description poétique ou emphatique de
Pousset de Montauban (avocat au parlement de Paris, littérateur, mort en 1685), laisse apercevoir un cadran solaire à la page 12 du petit livre. Je ne me permettrai pas de disserter ou de porter un jugement sur les mille vers octosyllabiques de Pousset. Mais je retiendrai avec une certaine délectation les mots de cette fameuse page où durant cette promenade notre poète découvre le cadran :

Suivant une route battue

J’arrive dans un bois épais,
Qui, pour garder l’ombre et le frais,
De ses feuilles forme une nue.

A gauche est une perspective,
D’un émail de toutes couleurs,
Peint sur un parterre de fleurs
D’une beauté brillante et vive.
Parmi tous ces feux éclatants
Se voit la mesure du temps
D’une invention singulière :
Le soleil y souffre des lois,
Et l’art y souffre sa lumière
De marquer l’heure en mille endroits.
Tant de fleurs que l’œil idolâtre
 Ne font peine que dans le choix.

Voilà donc ce fameux texte qui annonce, sans le définir, le cadran solaire de la Groirie en 1652.

Il faut bien constater que l’état de conservation de la pierre du monument (pierre de Bernay), est parfaite pour avoir facilement traversé les ans. Ce qui n’est pas le cas pour les cadrans examinés dans différents départements.
En ce qui concerne les couleurs observées sur différentes parties du monument de la Groirie, nous noterons une publication dans le bulletin de la British Society du mois de janvier 2001, lors de la présentation d’un cadran solaire à Madeley Court de 1620 ou 1630 se lit cette annotation :

The dial may well have been painted in bright colours as it was common practice to paint stone dials of this period. Hour lines were painted in black, déclinaison lines in red, Italian hours in blue, Babylonian hours in yellow, with green for unequal or planetary hours. The black ground for the declination lines would be white, and outside these lines, blue.
Je garde le texte anglais pour bien montrer que les couleurs rencontrées sur le cadran de la Groirie ne sont peut-être pas une vue de l’esprit. J’ai déjà signalé dans l’examen gnomonique la présence d’une pigmentation bleue.
Nous retrouvons chez
M. Denis du Paty, dans la visite de la Société Archéologique en 1932 (
Médiathèque du Mans, Sciences et Arts 8° 3489), les mêmes termes pour le cadran solaire et la description de Pousset, mais peu d’affirmations sur le réalisateur : « Ce monument précieux et vraiment unique est conservé intact ; il est attribué à un bénédictin ».
Comme on le voit, ces incursions dans l’histoire n’apportent que des éléments non vérifiables. J’épouserai la proposition de M. de la Bouillerie qui me semble la plus vraisemblable. Car il faut ajouter qu’à l’époque de la visite de Pousset de Montauban, le château venait de recevoir des transformations pour les parcs et jardins. En tous les cas elle élimine également les Grandval.
Mais je partage la possibilité émise d’une transformation, ou tout au moins d’embellissements, dans l’esprit plus raffiné des cadrans solaires du XVIII
e siècle.

Examen de l’ensemble
Il se fera sans insister sur les calculs, mais en essayant d’en faire ressortir les principaux éléments.
La hauteur totale du monument est de 226 mm. Elle comprend le socle d’une hauteur de 920 mm avec des côtés de 610 mm. Un deuxième volume où sont établis les cadrans, hauteur 1130 mm, largeur et profondeur 495 mm.

Commençons par le sommet du monument
:
Le croissant

Une première observation : la position des deux pointes du croissant est anormale. Elles devraient être tournées de 90° pour se trouver dans l’axe Est Ouest. Cette pièce qui tient mal a été remise en place sans notions gnomoniques. Les pointes du croissant doivent être orientées Est Ouest. Il est toujours surmonté d’une tige métallique assez oxydée. J’ai démoPj epau 2 le croissant photo 2nté et légèrement nettoyé cette partie : aucun trait, aucune gravure dans la pierre, ne permettent d’envisager des tracés ou la présence de chiffres horaires.

La face nettoyée

La recherche de l’origine ou de la fonction de ce croissant, quelle qu’en soit l’utilité, m’a pris du temps. Hésitant entre un symbole lié à des armoiries des propriétaires du château et les dessins de gnomonique des ouvrages du XVIIe consultés.
Si nous reprenons
le dessin de la première page de "Manière Universelle de M. Desargues pour Pj epau 3 livre de bosse photo 3poser l’essieu et poser les heures et autres choses aux cadrans du soleil, par A. Bosse", il ne s’agit pas d’un cadran lunaire, comme il m’est souvent dit, mais d’un cadran classique tel que le décrit Dom Pierre de Sainte-Marie-Madeleine (Traité Horlogiographie. Dom Pierre de Sainte Marie Madeleine. Collection particulière) dans son livre de 1665 :Pj epau 4 dessins de sainte marie photo 4
En la figure Iv fur vn plan vny, tracez un vertical, puis luy donnez la forme de croissant, en y laiffant une fuffisante groffeur & largeur pour y defcrire les nombres des heures ; & encores qu’au vertical on n’y puisse mettre que 12 heures. Pour l’axe : Cet axe eft attaché par le moyen d’vn fouftien de fer ou de laiton, qui defcend du fommet du croiffant iufques au lieu où ferait le centre du cadran vertical, par le moyen d’vn filet eftendu fur les deux points de 6 heures, l’ayant divifé en deux, au bout de ce fouftien fera adapté vne verge ou fil de fer ou de laiton, felon la hauteur de l’axe du monde, et d’vne longueur compétente.

J’ai bien retrouvé les deux emplacements des trous de cette ligne figurant le diamètre. La tige en métal est encore présente sur le croissant et possède avant son sommet une échancrure, sur laquelle était soudée une autre tige qui était le style d’un cadran tout simplement vertical.
Ce cadran a-t-il été quelquefois tracé, je ne le pense pas. Mais je garde l’idée d’un cadran comme dans les ouvrages cités.

Dans l’analyse des différents cadrans qui composent cet ensemble, il faudra toujours accepter des modifications possibles apportées par les propriétaires du château. À l’image des dernières années où
Monsieur de la Vingtrie fils a souligné les couleurs de certaines parties du monument.
De même le cadran a été déplacé trois fois durant ce dernier siècle. Si on se réfère à la période
Georges de Granval, artiste sculpteur, il est possible d’envisager des interventions sur l’objet. Pourquoi ne pas faire une investigation dans les armoiries ? En effet des symboles héraldiques se retrouvent parfois sur des cadrans.
Tout d’abord liée à des écrits locaux, cette investigation m’a conduit en Anjou. En 1652 lorsque le Sieur de Montauban décrit sa promenade au château, la personne qui lui fait visiter le lieu est
Louis François de la Rivière (d’Argent à cinq têtes de Dauphin d’Azur mises en Sautoir 2-1-2). La maison de la Rivière, selon Charles René d’Hozier dans l’Armorial de la Sarthe est une Famille peut être d’origine angevine, anciennement établie dans le Maine eut la prétention non justifiée de descendre de Jean de la Rivière, Chancelier de Bretagne.
L’origine angevine devenait intéressante, car en compulsant le Tableau des Armoiries de France, je relève que René d’Anjou, fut Autheur de l’Ordre du Croissant.

D’où une recherche à Angers à la cathédrale sur la Chapelle des chevaliers (Archives municipales Angers) pour voir si un la Rivière figurait dans les armoiries des chevaliers. Mais les armes attendues ne figuraient pas sur ce vitrail aujourd’hui disparu. Il est donc possible d’éliminer le Roi René et les La Rivière.
Selon le baron de la Bouillerie toujours, les deux fils de Monsieur de la Rivière moururent sans postérité. Sa fille Madame de Mailly, vendit la Groirie à Paul François de Samson, Seigneur de Lorchère, de Marcé. Son fils Alexandre, chevalier, seigneur de Lorchère, lieutenant en la sénéchaussée du Mans avait des armes attribuées d’office : Parti d’or et d’azur à six croissants de l’un en l’autre 2 et 1, et 2 et 1. En ce qui concerne les Sanson, propriétaires du château en 1796, les armoiries surmontées de Fortis ut Sanson, ne comportent que des lions.
Mais il est possible de trouver des croissants également chez le Chevalier de Grandval propriétaire du château en 1936 ! Je ne garderai donc que l’idée d’un croissant-cadran solaire.

Les différentes faces
Après avoir étudié le croissant nous continuerons à examiner la face avant du monument, face sud méridionale. Je n’ai pas ici la prétention de faire une analyse exhaustive de cet ensemble, ceux qui voudraient aller plus loin dans cette approche chiffrée pourront consulter le rapport effectué pour les Monuments Historiques après nettoyage. Comme il apparaît au premier regard, ce monument est parfaitement symétrique dans la distribution des différents cadrans.
Ceci est déjà un point qui peut être engageant pour faciliter la lecture de ce qui suit.

  Pj epau 5 face a photo 5
A- Dans le haut un petit cadran vertical classique sans prétention.
Puis une suite de cadrans constitués par des surfaces établies sur des parties de cylindre. Le style est matérialisé par les "tranches" des pages, toutes polaires selon l’axe du monde. Ils engendrent des ombres parallèles au style. À l’extrémité gauche un quart de cylindre avec les heures du matin. Au centre un demi-cylindre avec à gauche les heures du matin et à droite les heures de l ‘après-midi. Puis à droite un quart de cylindre pour les heures de l’après-midi. Ceci nous fait penser au cadran réalisé plus tard par Bollée.

  Pj epau 6face b 6
B- Un livre largement ouvert dont les tranches des deux pages constituent les styles de cadrans établis sur les pages mêmes du dessus, mais également en dessous de ces dernières à droite comme à gauche, et dans le fond de l’angle ainsi établi. Cet ensemble comporterait donc 8 cadrans solaires.

Pj epau 7face c photo7
C- On peut voir sur cette photo dans le bas (comme sur la photo A) un cadran solaire vertical avec son gros nez pour style. Les lignes horaires sont disposées de chaque côté et partent d’un croissant assez large. À gauche les heures du matin, à droite celles de l’après-midi. La largeur du style correspond à midi solaire.


D- La face orientale recèle trois cadrans de formes inhabituelles.Pj epau 8 face d photo 8
a) Cadran en forme de demi-cône oblique creux, la partie supérieure en ligne droite axée selon la direction de l’axe du monde, sert donc de style. L’ombre de ce dernier peut être observée de VI heures du matin, jusqu’à midi où l’ombre couvre entièrement le cône.

b) Au-dessous une demi-sphère concave, avec un style en métal en forme de quille. L’ombre que décrit le sommet de la "quille" indique différents moments de l’année en fonction de la hauteur du soleil.
c) L’arête de la dépression inclinée comme toujours selon l’axe du monde, sert de style pour lire l’heure sur le fond de la concavité. Le cadran est éclairé de 6h (naissance de l’ombre) à 12h (l’ombre est sur la totalité).
Nous retrouverons sur la face occidentale des cadrans semblables, mais qui indiqueront évidemment des heures différentes. Si la face orientale indiquait les heures du matin, la face occidentale précise celles de l’après-midi.

Pj epau 9 face e photo 9
Face arrière Nord ou Septentrionale. Sont retirés les deux cadrans coniques du bas, que nous venons d’étudier. N’oublions pas de rappeler que ces cadrans face nord, ne sont utilisables que durant la période où le soleil est au-dessus de l’équateur, donc avec une déclinaison positive. Ce qui est le cas de l’équinoxe de printemps (20 mars) jusqu’à l’équinoxe d’automne (22 septembre).

a) Au centre une coquille Saint-Jacques, motif évocateur des chemins de pèlerins, des lignes horaires au nombre de 4 à droite et 4 à gauche y sont peu visibles. Théoriquement les heures du matin de 4 à 7 h sont à droite, les heures de l’après-midi de 17 à 20 heures sont à gauche.
b) Au-dessus un cadran équatorial supérieur, tout simple.
Puis une partie verticale plane, qui a été utilisée pour peindre grossièrement une devise. Je retrouve seulement Sum Sine Sole, assez estompé. Donc une partie du SIMPLEX SUM SINE SOLE NIHIL SINE LUMINE NULLUS, qui est annoncé dans les descriptions anciennes, et qui à mon avis est d’une date postérieure à la réalisation de l’ensemble.

c) La partie sculptée ressemble à la toiture d’une galerie de cloître, avec ses deux arcades soutenues par des colonnes massives.

 

  
      Face A              
Face B              Face C             Face D            Face E

 Pj epau 6face b 6Pj epau 7face c photo7Pj epau 8 face d photo 8Pj epau 9 face e photo 9Pj epau 5 face a photo 6

     

Pj epau 10 face arriere 11 Face arrière

Fresque découverte entre les deux arcades sur la face nord, une balustrade et un décor champêtre avec des arbres dans un esprit XVIIe.
Dans le tableau stratigraphique établi par M. Ch. Sallé restaurateur, nous relevons :

Peinture ancienne ou originale sous trois couches superposées, Vermillon vif, Bleu turquoise, ocre jaune, noir. Cette partie du monument étant encore à l’étude.

d) Un dernier cadran tout à fait en haut, s’agit-il encore d’un cadran équatorial supérieur ? Là, il faut attendre le nettoyage.



Ajouts d’explications sur les photos de M. Cordonnier-Détrie 1936

Dans l’état actuel de ce monument nous avons pu dénombrer trente-deux cadrans. Que nous réserve la remise en état ?

Pj epau 12 explications dessin 2Pj epau explications dessin 4Pj epau 11 explications dessin 1
Un essai d’analyse sur la provenance de tels cadrans
La manière de réaliser ces cadrans est assez commune aux objets observés en France, dans les quelques exemples que nous rencontrâmes, pris dans différentes régions. Mais il est agréable de constater que les cadrans polyédriques, connus en Angleterre, en Écosse, en Allemagne, en Hollande de la même période et antérieure parfois (Écosse) ont une apparence semblable.
De tous les livres que j’ai compulsés sur cette période du XVI
e et XVIIe, aucune trace de tels objets plus ou moins monumentaux n'est représentée, sauf peut-être dans les livres de Münster ou de Bullant (Traicté Horlogiographie Jehan Bullant. Microfilm BN).
Première hypothèse sur la présence de ces objets : nous sommes au XVII
e siècle, les cadrans solaires utilisés jusqu’alors viennent de subir une période d’oubli sévère. Après les cadrans canoniaux, simples, rudimentaires même parfois, l’avènement de l’horloge mécanique dès les XIVe-XVe siècles et sa propagation dans les provinces, va détrôner provisoirement les cadrans solaires, particulièrement sous les formes classiques que nous connaissions. Une table plane verticale ou horizontale, un style en métal, des lignes horaires étranges parfois dans les cadrans canoniaux des façades des églises.
Des lignes plus régulières avec "le style à polo" (dirigé vers le pôle), mais nous sommes dans une révolution intellectuelle et scientifique, avec Tycho Brahé, Copernic.
Pour accompagner l’horloge mécanique dans son développement, il est nécessaire de pouvoir la régler sur l’heure de midi, car les décalages sont fréquents sur une journée.
Ne va-t-on pas jusqu’à installer des cadrans solaires sur les grosses montres ! Pourquoi ne pas réaliser des cadrans solaires qui sont indiscutables, leur donner en même temps un aspect plus complexe pour ne pas ressembler à ce qui se faisait jusqu’alors, tout en étant efficace. Surtout que nous avons des maîtres en la matière : Sébastien Münster, Albretch Dürer, Oronce Finé, Athanase Kircher qui publient des livres inspirés souvent de manuscrits plus anciens.


         dessin Münster                                                                                                                    dessin Oronce Finé

Pj epau 14 dessins munster photo 14Pj epau dessins oronce finne
Sans oublier Kratzer, ce fameux mathématicien allemand, qui est à la cour d’Henri VIII en 1519 et fait deux cadrans solaires polyédriques pour Oxford. Mathématicien oui, mais aussi astronome et créateur des horloges du Roi. Dürer tout comme Holbein avaient représenté Kratzer sur leurs tableaux.
Albrecht Dürer, fils d’un orfèvre de Nuremberg, était convaincu que l’art nouveau de la Renaissance devait être fondé sur la science. Bien qu’il insistât particulièrement sur les mathématiques, on lui doit un simple ouvrage sur les cadrans solaires, mais sa réputation était due de son vivant à ses travaux en mathématiques et en optique et à son Traité des proportions du corps humain. Mais n’oublions pas Hartmann, incarnation de la Renaissance scientifique, qui après Cologne et l’Italie vint s’installer à Nuremberg, où il fit de nombreux cadrans solaires de poche.

 Pj epau 16 dessins kircher photo 16

  Pj epau 16bis dessins kircher bis photo 16                                 

     dessins Kircher

 








 

Les planches des dessins de cadrans solaires représentés dans ces ouvrages annoncent les formes des monuments que nous allons trouver dans certains parcs ou dans des jardins de monastères. Il faut penser qu’il y a là matière au développement d’une vision architecturale nouvelle pour les sculpteurs et les bons maçons. Cette manifestation d’un art gnomonique, qui rompt complètement avec ce que nous connaissions de manière canonique, est développée également dans les peintures du XVIe et du XVIIe.

             Les Ambassadeurs                                                                                                               Stroskopff

 Pj epau 18 sebastien stoskopff photo 18Pj epau 17 tableau des ambassadeurs photo 17

 

 

 

 

 

 


Ces
dessins extraits du Traité de Jehan Bullant
de 1562 évoquent les possibilités multiples d’exécutions de cadrans solaires sur des surfaces choisies, et donnent libre cours aux réalisateurs de cette époque. Il y a le cadran solaire vertical et le cadran horizontal bien sûr, mais il n’y a pas que ces deux types ! Reprenons ce que disait Jehan Bullant dans la présentation de son livre à Mefsire Anne, Duc de Montmorancy, Pair & Conneftable de France.
… Pour aufquels donner commencement, entree, & intelligence, ay affemblé ce petit traicté & recueil, tiré par la pratique du compas des autheurs qui par cydevant en ont efcrit, comme Sebastien Mufter, et leTref excellent, & Tref docte Mathematicien Oronce Finé.
Pj epau 19 jehan bullant photo 19Pj epau 20 jehan bullant bis photo 20

Mais je trouve que Bullant va plus loin dans ses descriptions pratiques :

L’on peult auffi defcrire plusieurs horloges en vne pierre ou tronc de bois, taillés & coupés en plusieurs pans ou faces, à la difcretion du fabricateur & y appliquer les horloges commodes à chacune face dudit tronc ou pierre, donnant l’elevation du pole, & de lequinoctial, & y adioufter à chacun fon ftile iouxte & le long de la ligne de l’axe, ou de l’equinoctial ainsi que l’horloge le requiert.

Les descriptions suivent de manière simple pour qu’un bon artisan puisse faire le travail.

Il ne faut pas s’étonner de retrouver le développement des cadrans multiples comme sur celui de la Groirie. Le thème choisi y est le livre, livre pieux, ou monastique. Mais la face arrière du bloc accentue encore l’idée de prière et de recueillement avec les arcades du cloître.

Pour une recherche sur les origines d’implantations
Les auteurs étrangers invoquent souvent le mouvement de la Renaissance. De l’enquête auprès de collègues de la Commission en Italie, la naissance de tels objets ne provient pas de cette région. En France, en l’état actuel de mes investigations, il n’est pas possible de prouver l’installation de ces cadrans dans les parcs et jardins. Je connais bien les jardins de Touraine et j’ai particulièrement examiné les jardins du XVI
e et XVIIe, les plans de Androuet du Cerceau et autres. Les correspondances avec les personnes spécialistes de cette époque ne donnent rien dans l’immédiat. Madame Bénetière, historienne des jardins, me signale un cadran solaire sur l’édition française du Songe de Poliphile en 1546.
Allons en Ecosse avec cette appréciation de Hunt (1974), reprise par Somerville :

Nous sommes à la source de ce qui continue à être un trait classique des jardins… en germe nous trouvons déjà l’idée que le jardin est un espace de démonstration des sciences.

Et de continuer : 
à cette époque la connaissance des cadrans solaires polyédriques n’était pas très répandue et que les livres imprimés les décrivant n’apparaissent que vers 1530. Sébastien Münster et Albrecht Dürer en Allemagne, Oronce Finé en France ont publié des œuvres à quelques années les uns des autres qui reproduisent des schémas probablement copiés des manuscrits du XV
e siècle.
Il semble normal qu’après les cadrans austères du XIV
e et XVe, ou tout au moins traditionnels (sur pierre ou sur ardoise ou peints sur les murs), la gnomonique participe à l’évolution des découvertes et qu’elle éprouve le besoin de marquer son époque par des formes nouvelles. Elle en a la possibilité avec les dessins des maîtres en mathématiques ou en peinture qui se sont intéressés à cette discipline. Ajoutons que ces personnages influents, chacun dans leur art, sont des symboles de la Renaissance (Dürer).
Du point de vue de la recherche gnomonique pure, comme nous l’avons vu, la mise en place des différents cadrans n’apporte rien de nouveau : cadrans vertical, horizontal, équatorial…
Mais la sculpture, l’art de faire vivre ces masses gnomoniques est bien dans l’esprit de la Renaissance. Pour moi s’il faut prendre un exemple typique de cette courte période, c’est bien le cadran monumental polyédrique.

Je pense que le cadran de la Groirie est dans l’esprit de ce qui se réalisait au XVII
e dans différents pays d’Europe. Il est curieux de constater que de nombreuses implantations se situent dans des zones où la culture protestante est influente. Il serait très intéressant de mener une étude sur ce sujet particulier avec des historiens de la Réforme, en constatant que l’Espagne catholique, l’Italie possèdent peu de cadrans monumentaux de cette période.
J’ai souvent fait référence dans cette petite recherche au Livre de A.R. Somerville [Mes remerciements pour la traduction à Madame O. Daugy du livre The Ancient Sundials of Scotland. Rogers Turner Books], et je citerai un passage qui semble lui servir de conclusion 
des Pays Bas ou d’ailleurs, il est peu vraisemblable que les cadrans solaires Ecossais soient issus de modèles continentaux.
Non, en effet, ils ont été réalisés sur place par des sculpteurs ou maçons habiles, payés par des princes ou des gens de sociétés aisées, nobles, gens d’importance, qui avaient la possibilité d’avoir accès à des documents ou manuscrits. Ils montraient leur savoir, attiraient la curiosité et en plus pouvaient indiquer mystérieusement l’heure. Les moines ont été des propagateurs de ces sciences, mais ils ne sont pas les seuls. Les initiateurs de ces dessins, nous l’avons vu, viennent plutôt d’Allemagne et ont fait des émules dans quelques pays d’Europe, Écosse, Angleterre, Pays Bas, France. Mais il n’y a pas de règles établies.

L’horloge mécanique va prendre petit à petit sa place, tout d’abord comme élément de curiosité, tout comme les cadrans solaires polyédriques, puis comme instrument de détermination du temps. L’homme croit jouer avec le temps. Vanité de la mise en scène d’une pièce dont on ne connaît pas l’auteur.

Les cadrans polyédriques ou monumentaux, de cette époque
De la liste et des documents qui m’ont été fournis par Monsieur Grégori, et qui proviennent de la commission de la SAF une première analyse permet d’avancer quelques constatations et observations.
Tout d’abord ce type de cadran représente une faible quantité par rapport à l’inventaire effectué en France par la commission des cadrans solaires de la Société Astronomique. Ce recensement (Remerciements à Mrs S. Grégori et Sauvageot, Membre et Président de la Commission des cadrans solaires de la S.A.F.) comporte actuellement environ 10.000 cadrans. Mais la majorité des cadrans du XVII
e ou XVIIIe sont des cadrans verticaux ou horizontaux, peints ou gravés dans la pierre, et restent la première image venant à l’esprit quand on parle de cadrans solaires.
Dans les pays qui établirent des catalogues, le nombre de cadrans solaires polyédriques, est assez semblable au nôtre.
Suivons A. Somerville dans "The Ancient Sundials of Scotland, Ecosse" :
j’ai pu relever 267 cadrans polyédriques sur pied, dont 47 au moins datent d’avant 1700.

Dans un catalogue de 1984 (Van Cittert-Eymers & Hagen) pour l’Allemagne, sur 71 polyédriques, 2 sont datés d’avant 1700.
En Hollande sur 70 cadrans polygonaux 2 peuvent être datés d’avant 1700.
En Allemagne de l’Est, 49 cadrans multiples catalogués, mais la plupart sont du XVIII
e.
En Espagne sur une liste générale de 305 cadrans solaires il n’est signalé que le polyédrique de Malaga.
Il ne faut pas non plus trop rapidement conclure que certaines régions possèdent plus que d’autres des cadrans de ce type. Peut-être que des chasseurs de cadrans sont parfois plus efficaces ou qu’ils ont plus de chance.

En guise de comparaison
Nous ne prenons donc que les objets qui semblent être de manière évidente,
  1- des spécimens typiques d’une période, quand ils sont datés
  2- des monuments solaires comportant 4 faces avec parties planes ou évidées
En général le bloc où sont installés les différents cadrans, se situe sur une colonne ou un piédestal.
Nous sélectionnerons dans le fichier, en partant des photos réalisées, les cadrans qui me paraissent d’un même esprit, puisqu’il faut bien se limiter :


    Saint Bénigne,            Lay-Saint-Christophe,         Mansencôme,            Saintes le Prioustré

Pj epau 21 sainte begnine photo 21Pj epau 22 lay saint christophe photo22Pj epau 23 monsencomePj epau 24 saintes le prioustre

 Carte postale du Château de La Groirie

Pj epau 25 le chateau de la groirie carte postale

 

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Date de dernière mise à jour : 17/08/2023