Boule de fort

LA BOULE DE FORT

Ce jeu exige de la finesse pour le pratiquer et en a exigé aussi pour le mettre au point. Car enfin, pourquoi inventer un terrain incurvé quand on s’efforce habituellement de trouver un terrain plat pour jouer aux boules et pourquoi élaborer une boule déséquilibrée quand, dans les situations habituelles de la vie courante on s’efforce de fabriquer des produits équilibrés ?
Dans le Lincolnshire, on joue avec des boules semblables aux Boules de Fort comme seuls savent le faire les Anglais… sauf que les deux parois de la boule sont identiques et que le terrain est plat. Il semble bien que les concepteurs de la boule de fort aient pris le problème à l’envers ! Au fond c’est une belle illustration du pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ?
Et puis d’ailleurs les concepteurs, quels concepteurs ? Monsieur Fort, inventeur de la boule de fort ? Cette hypothèse ne figure pas parmi les explications habituelles sur l’origine du jeu. De toutes façons, à voir la cohésion des personnes qui le pratiquent, on sent que ça ne peut venir que d’un seul homme : il ne peut y avoir à ce jeu qu’une origine collective.

Son berceau, c’est la vallée de la Loire et ses affluents immédiats : Sarthe, Loir et Mayenne, et encore, seulement les parties toutes proches des confins des anciennes provinces d’Anjou et de Touraine. Au-delà, on joue à la galoche, au palet, aux quilles ou à d’autres sortes de boules mais pas à la boule de fort.
La proximité des cours d’eau et les dates de créations des sociétés, lorsque le transport par eau des marchandises était monnaie courante, a fait dire à certains que ce jeu aurait été pratiqué sur le fond des gabares. Faire remonter au temps devenu mythique de la batellerie, cela rajoute encore un petit brin de sympathie… mais c’est un peu vite oublier les membrures de carcasses, même si on y ajoute un plancher, et surtout aucun témoignage précis fiable ne vient appuyer ce récit. Les « on dit que » n’ont jamais été une preuve.
Pour ne pas se faire mener en bateau (!), il a été question des forçats de Jeanne de Laval, amenés dans la région pour construire la levée de la Loire, qui auraient joué aux boules avec leurs boulets enchaînés aux pieds. Cela ne tient pas la route… même celle construite sur la levée.
Il existe encore d’autres hypothèses mis ce qui est présenté comme l’histoire vraie par la fédération de boule de fort de l’Ouest est la suivante, fondée elle, sur des témoignages. On a de tout temps pratiqué des jeux d’extérieur en utilisant les objets qu’on avait sous la main. Les règles dépendaient du tempérament des joueurs et de l’environnement, ce qui explique que les jeux traditionnels restent ancrés dans les patrimoines régionaux.
- Dans la grande région angevine, il est attesté qu’en 1900, on jouait avec des boules pas tout à fait sphériques qui étaient des billes de roulements usagés provenant des moulins la Loire notamment. Peu facile à jouer sur terrain plan, on choisissait un chemin creux.
- On a ensuite construit des terrains en terre battue qu’on roulait régulièrement et qui furent réservés au jeu, tout comme on l’a fait pour les boules de pétanque.

- Chacun venait avec ses propres boules, toutes différentes. Le premier challenge public de boules en 1905 a montré qu’il n’était pas possible de jouer avec des boules aussi différentes les unes des autres. La fédération a été fondée en 1907 dans le but de réglementer le jeu de boule de fort. La forme de la  boule et la nature de la piste se sont uniformisées petit à petit en référence aux consignes fédérales pour devenir ce que l’on connaît aujourd’hui.
Parler de la boule de fort, c’est parler de la subtilité que le joueur met à doser l’élan qu’il va donner à la boule qui roulera sur la surface incurvée n’offrant presque pas de frottements au cercle de fer poli. Il faut avoir une sacrée maîtrise du mouvement à imprimer au poignet pour dominer la trajectoire sinueuse de la boule tiraillée entre le faible et le fort ! Plus que de la force, du dosage !
Parler de la boule de fort, c’est dire l’ambiance de ces terrains sur lesquels on ne s’aventure qu’en chaussons. Même dans les cercles laïques, les joueurs, ce sont les officiants dans le chœur, les fidèles assistant religieusement sur les côtés. D’ailleurs, le clergé est resté uniquement masculin jusqu’en 1970. Fort heureusement, la réforme liturgique est passée par là et les femmes peuvent maintenant être adhérentes des sociétés et sont joyeuses à part entière. Apprécient-elles autant que les hommes de biser Fanny lorsqu’elles ne marquent pas de point ? C’est à elles de répondre à la question.
Parler de boule de fort, c’est aussi parler tradition et rituel. Jouer en chaussons, ce qui se comprend aisément, et faire le voyage à Brion, ce que seuls les initiés comprennent, font partie de ces rituels : la mise en bouteilles aussi. Il est de mise de boire un coup à la fin des parties et il est donc important qu’il y ait une réserve de boissons importante dans chaque société. Traditionnellement, le vin local y tient une place : pas de gros rouge qui tâche provenant de divers pays de communauté européenne. Le vin vient de chez le viticulteur chez qui on est allé le chercher. Il faut et il suffit de le mettre en bouteilles et, ce faisant, de bien contrôler la qualité du produit. Il est probable que certains tanguent autant que la boule à la fin de l’opération mais après, on mange ensemble : ça atténue le tangage et on fait une partie de boules pour compléter. C’est aussi simple que ça.

                   C’est très convivial et on ne saurait déroger à ses habitudes qui viennent de la nuit des temps… enfin presque.

Les sociétés remontent en effet pour les plus anciennes à la fin du XVIIIe siècle mais commencent vraiment à se multiplier à partir de la première moitié du XIXe siècle… ce qui représente quand même deux cents ans. Elles ont perduré avec des hauts et des bas jusqu’à nos jours. De l’époque de leur création provient leur dénomination au parfum légèrement suranné : La Vigilante, L’Egalité, La Fraternité, L’union, La Paix, La Concorde… La boule de Fort n’était pas alors l’activité de ces sociétés dont le but était surtout de profiter des nouvelles libertés publiques de se retrouver entre amis. On y débat des idées et notamment des idées républicaines. D’ailleurs, le fonctionnement de la société est une illustration immédiate : c’est le président, élu par les membres, qui détient le pouvoir er non une autorité extérieure, notamment l’Église qui ne voit pas d’un bon œil les hommes préférer venir au cercle plutôt qu’assister aux vêpres.
D’autres sociétés ne coupent pas le cordon. C’est le temps des grands débats qui ont agité la société civile : l’école laïque et l’école professionnelle, les patronages rivaux, la Libre Pensée qui furent d’abord le combat pour ne pas passer par l’Église pour se faire enterrer. Les sociétés ont été aussi le reflet de ces débats.

On pourrait croire, à lire ces lignes que les sociétés de boule de fort ne sont pas du tout en phase avec le monde actuel et sont moribondes. S’il y a eu des périodes où elles ont bien failli disparaître au moment des guerres ou des Trente Glorieuses, où on s’est empressé de mettre les meubles rustiques au rebut pour les remplacer par du formica, ce n’est plus le cas aujourd’hui.
Le 21 janvier 2016, par exemple, Ouest-France publie le compte rendu de l’assemblée générale de La Tranquillité de Villaines-sous-Malicorne qui fait état de 118 adhérents, dont 22 femmes. Dans ce même village, l’édition du 28 janvier parle aussi de 118 adhérents, dont 42 dames et 4 juniors pour l’Égalité. Deux sociétés dans un village avec des effectifs plus que respectables : on est loin de l’image des sociétés vieillottes. C’est qu’on a su préserver l’aspect convivial du jeu et l’aspect « respect des traditions » et qu’on y a ajouté une dimension sportive avec l’organisation de challenges qui ont modernisé les choses. Ce phénomène rejoint un mouvement de renouveau de sociétés anciennes qui se remarque un peu partout, comme dans la Basse-Saxe, région de l’Allemagne dont beaucoup de villages sont jumelés avec des villages sarthois. Là, les sociétés de tireurs créées à la même époque ont certes, connu des hauts et des bas mais sont redevenues florissantes. La cohésion des habitants du village aidant, les jeunes forment une bonne partie des adhérents.

Bien des Sarthois du nord de la Sarthe seront sans doute surpris d’apprendre
qu’il existe près de quarante sociétés de Boules de Fort dans la partie sud-ouest du département. 

Pami elles, retenons L’Espérance, La Saint-Vincent, La Grappe, La Gaité, La Violette, La Tranquillité, et L’Avenir.

 

Photo pour la boule de fort

Date de dernière mise à jour : 14/03/2024